Cela fait déjà quelques temps que je ressens la nécessité d’écrire un article sur ce sujet qui est malheureusement de plus en plus récurrent dans le cadre de mes rendez-vous…

Il y a 10 ans en arrière, cette problématique s’abordait surtout dans le cadre d’alcool au volant (suspensions de permis de conduire, accidents de la route, etc).

Depuis quelques années (depuis la sortie du 1er confinement ? peut-être… des sociologues ne manqueront pas de nous éclairer sur le sujet dans quelques années !), de plus en plus de mères m’évoquent leurs inquiétudes sur la prise en charge de leurs enfants par le papa… ce papa qui aurait la main lourde sur l’apéro. Il est moins régulier d’entendre ces inquiétudes de la bouche des pères… pour autant cela arrive aussi.

Toutes les classes sociales sont touchées par cette difficulté

 

Le sujet est délicat à bien des niveaux :

  • Au niveau de qualification de cette prise d’alcool : en effet, s’il s’agit d’alcoolisme, alors il s’agit d’un sujet médical et ni mes clients, ni le juge aux affaires familiales, ni moi-même ne sommes médecins.
  • Au niveau de la charge de la preuve : si le sujet doit être abordé devant un juge pour organiser des temps de garde des enfants chez le parent alcoolisé, la preuve d’une alcoolisation est souvent bien compliquée à rapporter
  • Au niveau de l’évaluation de la mise en danger des enfants quand ils sont en garde chez le parent qui s’alcoolise

Le sujet est d’autant plus sensible qu’une alcoolisation régulière est rarement pleinement assumée par la personne sujette et quasiment aucune des proches n’oseront en attester… car personne n’a envie « d’enfoncer » quelqu’un qui boit.

A mon sens, dans ce genre de situation, mon travail d’avocate est d’abord d’aider le parent inquiet à trouver une solution (qui sera présentée devant le juge) pour permettre l’équilibre des enfants.

Car, quand l’alcool s’invite dans des débats de droit de la famille, il s’agit bien de ça : la solution à trouver n’est pas pour rassurer un parent mais essentiellement pour permettre aux enfants d’aller chez le parent de manière la plus sereine possible et/ ou de conserver une relation la plus apaisée possible avec ce dernier.

 

Le présent article vise à partager les trois axes de travail (que je mets en place en rendez-vous) de manière à éventuellement aider le lecteur concerné par le sujet à trouver lui-même des solutions :

 

  • Une peur… à objectiver

Tout d’abord il convient de se rappeler que notre rapport à l’alcool est individuel et subjectif. En conséquence, votre regard sur le niveau de consommation d’alcool de l’autre parent est un regard lié à votre propre rapport à l’alcool.

Si vous ne buvez jamais, l’impression que l’autre s’alcoolise « beaucoup » sera d’autant plus rapide.

Une personne peut également vous dire que « ca va, il n’y a pas de problème, je n’ai bu que trois verres ! ». Est-ce grave/pas grave, dangereux/OK ? Votre évaluation de cette information ne pourra pas être la même que la mienne, celle du voisin et dépendra également du contexte de la prise de ces verres…

 

Une fois cette considération posée, il convient donc de pondérer votre regard ou de croiser cette appréciation à celle de votre entourage… de manière à savoir si le plus objectivement possible, vous avez de quoi vous inquiéter.

Depuis quelques temps, le climat sociétal laisse une place prépondérante à la peur. Je le ressens car les gens viennent en cabinet chargés de peurs diverses… plus ou moins fondées.

Les peurs ne sont pas irréelles. Elles naissent toujours d’un fait existant… mais c’est la proportion qu’elles prennent dans vos vies qui se déconnecte du réel !

 

Et d’ailleurs de quoi vous inquiétez vous ? Si l’ex s’alcoolise, cela vous regarde t’il vraiment ?

 

Cela craint vraiment ou pas qu’il/elle boive ? Pour lui/elle certainement… mais vous n’êtes plus sa femme/son mari et n’avez plus de jugement à porter.

 

Cela ne peut vous regarder plus qu’à un seul titre : en votre qualité de parent !

Il est constant que d’imaginer les enfants exposés à l’alcoolisation d’un parent n’est pas ce que l’on souhaite pour eux. Pour autant est ce grave pour leur développement ? sont-ils en danger ?

Pour un enfant, vaut-il mieux voir un parent qui s’alcoolise ou ne plus le voir du tout ?

Un parent qui s’alcoolise est-il un mauvais parent ?

 

Je n’ai aucune réponse à ces différentes questions… et le juge n’aura pas non plus de réponse. Car tout ces débats relèvent bien plus de la psychologie et de l’éducation que du droit !

Pour autant, ces questions sont essentielles à poser pour relativiser votre peur en la mettant en balance avec d’autres notions et surtout à la lumière de l’équilibre de votre enfant.

Vous l’aurez compris, je ne pars jamais tambour battant en vous affirmant que vous avez raison et que nous allons vite contraindre l’autre parent à arrêter de boire… ni vous, ni moi, ni la justice (en droit de la famille) n’avons malheureusement ce super pouvoir.

Nous allons donc composer et intervenir sur ce que nous pouvons…

 

  • Un danger à mesurer

L’alcoolisation est généralement gradée par le corps médical :

Il existe l’usage sans dommage, puis l’usage à risque, pour ensuite arriver à un usage nocif (sans dépendance), puis enfin la dépendance (l’alcoolisme).

 

Si le parent boit sans créer de dommage… alors le danger est à relativiser. Bien sûr vous préféreriez qu’il ne boive en présence des enfants mais, dans la mesure où ils ne sont pas mis en danger, vous n’avez pas vraiment la possibilité d’intervenir.

En revanche, vous avez à vous positionner si le parent alcoolisé expose vos enfants à des situations à risque.

Encore une fois, l’évaluation est difficile à poser.

 

Une chose est sure pour qu’un juge puisse aménager les temps de garde à la lumière de l’alcoolisation du parent, il faut démontrer l’exposition régulière de l’enfant à des risques pour son équilibre et/ ou sa vie.

Les exemples les plus réguliers que je peux partager sont : alcool au volant, accidents, non-respect des horaires d’école, excès de violences en lien avec l’alcool, délaissement des enfants au profit d’une alcoolisation, etc

 

  • Une confiance à conserver dans les aménagements qui pourront être mis en place

Très souvent, mes client(e)s me demandent de conditionner la prise en charge des enfants à une obligation de sevrage et/ ou de soins.

Cela n’est pas possible en droit de la famille car cela n’existe pas dans les textes.

Il ne s’agit pas d’une carence de la loi mais simplement du respect d’une liberté fondamentale protégée par notre constitution : la liberté individuelle.

Si quelqu’un (dans sa vie privée) veut s’alcooliser, personne ne peut lui interdire ou le forcer à en faire autrement dès lors qu’il ne porte pas atteinte à la société.

 

Quels outils nous restent-ils ?

Lorsque nous réussissons à prouver une alcoolisation délétère pour les enfants, il faut faire preuve de créativité de manière à proposer au juge aux affaires familiales des aménagements de garde qui protègeront l’équilibre les enfants.

 

Pour exemple, dans le cadre d’un alcoolisme qui a fait sombrer le parent malade, cela peut aller jusqu’à des droits de visite médiatisés.

 

Pour les cas (plus courants) d’alcoolisations régulières mais permettant encore au parent de vivre « normalement », nous pouvons proposer des droits de visites à la journée sans hébergement (le soir étant souvent un temps d’alcoolisation régulier). Il est également possible de ne plus laisser le parent qui s’alcoolise effectuer les trajets véhiculés pour venir chercher les enfants.

 

Bref quelques outils juridiques existent. Cela ne fera pas disparaître vos peurs… en revanche, ils permettent de limiter le danger et d’accompagner vos enfants vers un équilibre de vie.

 

Un autre outil, qui n’a rien à voir avec le droit, sera également très efficace et essentiel : la confiance que vous mettez en vos enfants à se protéger et à vous alerter en cas de difficulté. Ayez confiance en eux, apprenez-leur à comprendre leurs émotions et à les verbaliser… avec le temps, plus ils grandiront, plus vous pourrez lâcher-prise sur ce sujet. En attendant il va falloir jongler entre un subtil mélange de grande confiance et de petite vigilance, le tout agrémenté d’une décision de justice adaptée…